Avec Marie-Josèphe Rancon
Être la première génération de parents à faire face au livre numérique représente un défi… passionnant ! Mode d’emploi avec Marie-Josèphe Rancon, orthophoniste, pour comprendre ce que modifie l’arrivée de ce nouveau compagnon de route.
Avec les livres papier, la chose allait de soi. Une couverture, des pages numérotées… : l’espace pour l’histoire était immuable et clairement défini. Avec les livres numériques, la réception du texte est différente. “Ce support joue sur le scrolling, l’horizontalité et la verticalité mais aussi, via les animations, avec les notions d’apparition/disparition. Sans compter les hyperliens…”, analyse Marie-Josèphe Rancon. Avec les livres numériques, le mouvement prime ! D’où l’importance, selon l’orthophoniste, d’effectuer une sorte de travail préparatoire à la découverte du livre numérique. “Avant de lire, estime l’orthophoniste, il faut s’organiser. L’enfant et le parent doivent s’interroger sur la façon dont ils vont cheminer dans l’objet. Il est donc nécessaire de commencer par une phase de découverte de l’organisation. Certains enfants vont trouver tout de suite. D’autres vont chercher un peu plus longtemps.” Dans tous les cas, l’accompagnement parental dans cette phase d’approche est déterminant.
Les livres papier induisent une lecture linéaire en continu. Celle-ci met au travail les régions du langage, de la lecture et de la mémorisation (les zones pariétales, temporales et occipitales du cerveau). “Les livres numériques, eux, supposent une lecture fragmentaire, remarque Marie-Josèphe Rancon. Ils vont donc solliciter en plus la zone frontale, qui correspond à la prise de décision rapide.” Alors que dans les livres papier, l’information est spatialisée, avec les livres numériques, il va falloir chercher, faire des allers-retours. “Or, il faut être capable de gérer cela, souligne-t-elle. Ce n’est pas évident pour un enfant qui apprend à lire, il doit donc être accompagné. Mais une fois cette dimension acquise, il devient davantage acteur de sa lecture et acquiert plus d’autonomie.”
Pour l'orthophoniste il faut exercer sa vigilance face aux animations proposées dans le livre numérique : “Il faut s’assurer qu’elles servent la lecture sans en interrompre le fil.” Elle se souvient ainsi d’un livre numérique dans lequel un petit oiseau ne cessait d’aller et venir au gré des pages. “Résultat, l’enfant perdait complètement le cours de l’histoire et n’était plus que dans l’attente de la venue du volatile !”
L’enfant doit donc être capable de “résister” à ces stimuli qui ne doivent pas perturber sa compréhension du texte mais l’enrichir. “Si c’est le cas, cela signifie que l’enfant est autonome dans sa lecture, note Marie-Josèphe Rancon. Pour moi, cela intervient à la fin du CE1 ou au début du CE2. Comme elle suppose des appropriations successives, la lecture d’un livre numérique demande plus d’effort que la lecture d’un livre papier, plus rapidement opérationnelle.”
Mais attention, il n’est pas question de se priver ! “Les deux systèmes sont complémentaires, insiste l’orthophoniste. La lecture papier joue sur le temps et la construction de la pensée narrative. La lecture numérique, elle, conduit à rassembler des éléments plus épars. C’est une vraie chance pour les enfants d’aujourd’hui d’avoir ces deux systèmes à disposition !”